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LibMag 61

A la Claire Lisette

- Que voulez-vous dire Chère Madame Lisette, seriez-vous en possession de vérités que nous ne connaissions point ? Cette fontaine  de Libourne, dont il est le brulant sujet, à vous écouter serait  mystérieuse et, peut-être miraculeuse ?

- Mais Monsieur le Journalis’ vous ne croyez pas si bien dire. Car des fontaines miraculeuses, il y en avait pléthore à l’époque. Des fontaines qui était des lieux de pèlerinages comme celle de Condat ; la miraculeuse à la Vierge. Celle qui, ayant depuis des années était vendue avec son terrain et le presbytère attenant, est tombée dans l’oublie pour la plus grande tranquillité de ses nouveaux propriétaires qui auraient vu d’un mauvais œil, c’est le cas de le dire, un défilé dominical de pèlerins piétiner leur jardin dans l’espoir que l’eau miraculeuse de leur fontaine fasses recouvrer la vue ou améliorer celle de myopes et hypermétropes. Qu’étant gamine, je me souviens que les galopins allaient y voler les quelques pièces de monnaies jetées sous sa voute par les fidèles, pour aller s’acheter des bonbons chez la Mère Falga, l’épicière du terrain de manœuvres. Sacrés garnements !… Mais c’est une autre histoire que celle que nous évoquons aujourd’hui.
- Mais par pitié, Chère Lisette, revenons à notre sujet, cessons de prendre ces chemins de traverses. Revenons à votre fable de la Fontaine; la notre !

- Une fable, je vous en foutrais moi de fables Môssieur le Journalis’. Mais approchez vous, oui, vous Monsieur le Baron, toi le Bègue, l’Imprimeur, et vous tous, faites le cercle car, ce que je vais vous dévoiler ne doit pas sortir d’entre nous…Venez également Madame et vous Monsieur…Je vais vous conter la vraie histoire de la Fontaine du Mercat et, plus tard, après réflexion, vous pourrez prendre en votre âme et conscience la décision sur sa conservation ou sa destruction…Bien qu’il paraisse que la décision soit prise, mais vous le savez bien, il de faut jamais dire fontaine…Imaginez, un imposant monument carré, fait de pierres de taille blondes. Aux angles quatre colonnes s’arque-boutent entre elles, rappelant les arcades de la place. Le muret, à hauteur d’homme est surmonté par de magnifiques grilles en fer forgé qui protègent le puits central. Sur chaque face, une gueule de lion taillée dans le calcaire, béante et qui crache une eau fraîche et limpide. Le tout surmonté d’un dôme sculpté d’écailles et entouré au sol par une douzaine de plots d’amarrages où l’on peut s’asseoir, attacher les chevaux et charrettes à bras. Ecoutez, ce doux clapotis de l’eau qui gicle sur le pavé. Humez ces aromes, ces senteurs, écoutez les cris des colporteurs, marchands de quatre saisons, pêcheurs de rivières qui viennent vendre aux bourgeois leurs productions sur cette « place du mercat »…Nous sommes en…..Disons 1760. Libourne est réputée de part le monde connu comme étant une ville riche, mais surtout une capitale de grands vignobles et de vins prestigieux dont elle fait largement le commerce. Sur cette place centrale, en ce jour de marché, les castes se côtoient fort aimablement. Sans se mélanger mais avec courtoisie la « noblesse du bouchon » voisine avec celle « du sang bleu », les propriétaires terriens viticulteurs s’acoquinent avec les bourgeois, les négociants et courtiers, les marchands commercent avec les notables et quelques gardes en armes  paradent aux abords des étals. Nous sommes ici, réunis autour de cette majestueuse fontaine, en ce jour bénit de Saint Valéry. 

- Là, Madame Lisette, vous en rajoutez un peu trop car ça pourrait être la Saint Glinglin que ça ne changerait rien à votre histoire, râla l’expert de chez Fayat.

- Et bien non, Monsieur le Terrassier. Et c’est bien là que tout commence et c’est bien à cause de ce Valéry que l’édifice que vous voyez aujourd’hui risque demain de disparaître. Mais si vous êtes trop pressé, je ne vous empêche pas de continuer votre chemin Monsieur le Destructeur.

- Excusez-moi ! Madame Lisette. Je ne vous interromprais plus. Pâlit le cariste.

(Suite page 22)
(Suite de la page 20)
- Donc j’explique. A l’époque, chaque région avait ses propres Saints et chaque profession avait son Saint Patron. Il se trouve qu’en ces temps, le Saint Patron des tonneliers, était Valéry. Un prêtre du septième siècle aujourd’hui bien oublié. Allez expliquer pourquoi ! Enfin, pour éviter toute accusation d’interprétation trop personnelle, je reprends le texte exact édité sur une ancienne image de la place dont vous trouverez aisément la reproduction dans le magnifique livre « Libourne, deux siècles d’Images » à la page cinquante. Je site : « La place de l’Hôtel de Ville et sa fontaine monumentale, supprimée en 1874 alimentée en abondance par les sources des coteaux de Bellefonds et Larcis Ducasse à Saint-Emilion…cette eau s’écoulait par un grand canal à la Dordogne par la rue Fonneuve…Pour les processions de la Fête Dieu, un grand reposoir était édifié sur le haut de la fontaine et les hussards à cheval formaient tout autour de la place la garde d’honneur… Le jour de la Saint Valéry, patron des tonneliers, les principaux négociants de la cité offraient une grande quantité de vin de la région. L’eau se trouvait, comme aux noces de Cana transformée en vin, les pauvres et indigents  de la ville et des environs y faisaient plus qu’honneur et la place se trouvait être un champ de repos pour 48 heures ».

- Et plus si affinité ! Je crois comprendre, Chère Lisette, ce que vous voulez nous démontrer. Vous voulez sûrement faire la démonstration que ces fêtes alcoolisées n’étaient pas du goût de tout le monde et que l’honnête bourgeoisie et les notables,  ne voyaient pas d’un si bon œil c’est ripailles et orgies organisées autour de la fontaine en plein centre ville ! Même s’il y avait une connotation religieuse, les rites étaient plutôt païens et barbares! dit le Journaliste.

- Voilà ! Vous avez tout compris et sous prétexte  de, je site : « la fontaine n’est plus utile puisque…l’eau n’est pas potable…ni un ornement puisqu’elle laisse à désirer sous le rapport de l’art…c’est un embarras pour le commerce…C’est par un jugement sans appel que nos édiles la condamnèrent à disparaître le 27 février 1874 ». Et voilà, tu l’as dit Bouffi ! Et à l’époque il devait y avoir quotidiennement un attroupement de l’ascars, mendiants, vauriens accompagnés de chiens qui attendaient que le miracle se renouvelle…Que la fontaine étanche leur soif alcoolique au frais de la Princesse ! Alors mes Bons Amis, je pense que vous avez maintenant tous les éléments nécessaires pour vous faire une idée bien précise et donner votre avis en votre âme et conscience si cette édifice doit perdurer ou disparaitre !