Libmag 40

Lisette fait son marché

- Alors Madame Lisette, comment trouvez-vous notre nouveau marché du mardi ?

- Alors là, Monsieur le Journalis', vous pouvez dire que c’est une réussite. Croyez-moi, il en a fallu des négociations, des discutailles, des coups de gueules et des tergiversations pour en arriver là. Qu’on aurait cru que ça allait être une vraie révolution sous les couverts et au centre de cette place Abel Surchamp qui était, au fil du temps, devenue un vrai désert de « Dé Gobi », tristounette et peu engageante. C’est bien grâce à toute la diplomatie de l’équipe du Domaine Public, du plaçage, des élus, et des dévoués adhérents de l’association d’animation du marché que la chose a pu se réaliser. Parce, que croyez-moi, c’était pas une mince affaire de déplacer de quelques mètres certains marchands boulonnés à leur emplacement depuis des générations. De faire comprendre à d’autres, isolés dans des rues désertées, qu’ils seraient mieux avec les copains sur le terre-plein et que la clientèle pourrait mieux circuler et stationner en centre ville. Mais vous savez, en France tout se fini peut-être en chanson, mais pour accorder les violons, c’est une autre histoire ! Même que des fois ça a failli tourner au vinaigre et à la cacophonie entre le clan des conservateurs et celui des réformateurs. La lutte des Montagnards et des Girondins comme à l’époque des sans culottes. Même certains qui n’y mettent jamais les pieds le mardi, étaient vraiment culottés pour attiser et jeter leur grain de sel, menaçant même de bloquer la ville avec les charrettes à bras et de déverser des bottes de poireaux et des cagettes de tomates dans le hall de la mairie si on touchait au marché. Une vraie prise de la Bastide avec des «Ha ! Ca ira» et des «Ha ! Ça ira pas!». Heureusement, la raison a pris le dessus et tous se disent maintenant : «pourquoi ne l’avoir pas fait plus tôt» ?

- Cela me paraît être l’évidence même. Ce marché du mardi est redevenu pimpant et bien agréable, plus attirant et mieux organisé pour le chaland.

- Et puis y a la modernité ! Figurez-vous que les placiers municipaux se sont mis, un peu obligés il faut bien le dire, à la modernisation et, au lieu d’humecter le crayon gras glissé derrière l’oreille pour gribouiller sur le carnet à souche, les voilà-t’y-pas qu’ils se sont équipés de petits ordinateurs manuels pour le plaçage des non sédentaires. Ha, ça n’a pas été de tout repos pour se familiariser avec ces petites usines à gaz. Il a fallu initialiser les programmes et les logiciels, paramétrer le bidule comme on dit ! Il a fallut tout intégrer dans la bécane, les noms, raisons sociales, la hauteur, la longueur, l’âge du capitaine, le rhésus et tout le tintouin que le Jean-Luc et le Eric ont du en passer des nuits blanches et en faire de vrais cauchemars. Enfin, ils se sont débrouillés comme des chefs et sont devenus de vrais as de l’ordi, des Bill Gates de la robotique, de vrais Robocop et ils en sont pas peu fiers les bougres ! Bon, c’est sûr que pour le gain de temps, c’est pas encore gagné mais pour ce qu’il en est du prestige ! Ca te change un homme…

- Laissez-leur le temps de s’adapter à ces nouvelles technologies du troisième millénaire Chère Lisette. Il est vrai que Libourne est en pleine mutation. Après la mise en place de notre Police de la Propreté, toujours sur le qui-vive à pister les déjections canines et affichages clandestins, j’ai entendu dire que nos élus planchaient sur la lutte contre la pollution visuelle et en particulier sur le devenir des chevalets publicitaires en centreville ?

- Ils ont organisé une cellule de crise « Les Chevalets de la Table Ronde », comme le dit ma voisine la Titine qui n’en rate pas une. Il se pourrait bien que cette table ronde ne tourne en « chevalets de l’apocalypse » ! Il faut avouer que c’est un peu la zizanie cette histoire de « Stop trottoir » et que, lorsque l’on a plus les "guindos" de vingt ans, comme moi et que la vue baisse, ou lorsque l’on trimbale des mouflets en poucettes ou qu’on est handicapé, c’est pas toujours facile-facile de circuler sur nos trottoirs et de faire du gymkhana. Déjà que dans la rue Gambiche on se prend les talons entre les pavés décelés, si en plus on doit slalomer parmi le matos publicitaire, les terrasses débordantes et les crottes de chiens, s’il en reste! Je suis quand même de l’avis qu’il va falloir mettre un peu d’ordre dans ce capharnaüm et cette signalétique qui ne ressemble plus à rien. Que bientôt on verra des panneaux du genre « resto Machin-Goye, 3 kms au fond à gauche » que ça en devient ridicule ! Mais là aussi, c’est une autre histoire qui risque bientôt d’alimenter longtemps vos chroniques mon Cher Monsieur le Journalis’.