LibMag 83

Mémoires d'un libournais

_ PIERRE PEYREBLANQUE _
1905/1996

Cet heureux cheminement sur le sentier de Dame Musique ne m’avait point fait oublier que j’en devais le bon départ au patronage des Bleus de Saint-Ferdinand pour ce qu’il m’ava!t offert Ia chance de me laisser souffler dans un clairon. 
Mais, je ne serais pas quitte de ma dette de reconnaissance à l’égsard du cher patron si je ne portais aussi à son crédit de m’avoir révéle ma seconde passion qui fut celle du Théâtre.

Pendant une bonne partie de mon existence, elle ira de pair avec la première et souvent même la complètera. Je la nourrissais de toujours il est vrai - elle datait du temps où, sous  le préau de l’école du Nord je me livrais à toutes sortes de singeries pour faire rire mes camarades. Mais, c’est bien sur la scène de la salle Jeanne-d’Arc que je dois, d’avoir découvert le théâtre par son côté le plus attirant à mon gré : celui qes coulisses et de ce qui se passe derrière le rideau baissé.

Il faut dire qu’au nombre des disciplines diverses en honneur aux Bleus (batterie-fanfare, gymnastique, équipes de foot), celle du théâtre amateur n’était pas la moins florissante ni la moins prisée. Et que la salle Jeanne d’Arc, encore presque flambant neuve, lui offrait un cadre idéal, pour ne pas dire prestigieux qui ne pouvait qu’inciter à en tirer toutes les possibilités qu’elle offrait.
Salle paroissiale à l’origine construite en témoignage de piété, il avait été prévu dès le départ d’y donner des spectacles édifiants et religieux. En particulier la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui,  effectivement, y avait été jouée avec un grand luxe de moyens et un immense succès peu avant la guerre de 1914. Pour pouvoir ce faire, les plans et les infrastructures de la salle avaient donné lieu à des études très poussées et l’on s’était entouré de très sérieuses références. 

C’est ainsi que l’abbé Lacroix, vicaire lors de la fondation et les membres de la fabrique s’étaient rendus en délégation et voyage d’étude dans un village bavarois du nom d’Oméramergo, réputé pour présenter tous les ans à la suite d’un voeu; une Passion de N.S. qui faisait courir toute l’Allemagne catholique, et où l’on venait de par delà les frontières.
Peu après cette Passion; les Bleus de Saint-Ferdinand avaient également présenté en spectacle une « Jeanne-d’Arc», qui avait attiré les foules de toute la région et dont on parlait encore. C’est dire l’importance des moyens matériels (dont aujourd’hui il ne reste plus grand chose) qui avaient été mis en oeuvre et dont pouvait encore disposer cette salle à l’époque dont je parle! Certes, en y entrant, le public n’était point séduit par son luxe et son élégance. Il s’agissait d’une vaste bâtisse aux murs de pierre nue, qui était plafonnée mais dont le seul ornement (!) étaient des deux côtés et se faisant face, les arcs-boutants apparents de sa charpente. Lesquels étaient reliés sur toute la largeur par des barres métalliques. Son parquet était en pente pour permettre une bonne visibilité et elle était garnie de longues banquettes rembourrées où l’on pouvait se serrer ce qui, avec le balcon du fond permettait une capacité qui pouvait aller jusqu’à plus de cinq cents places assises.
Donc, une salle on ne peut plus simple et dépouillée, pour laquelle on n’avait fait aucun effort de fioritures. Par contre, quels soins n’avait on pas apporté aux installations de la scène et à sa machinerie ! Rien que par sa surface, le plateau (mis à part le Grand-Théâtrè de Bordeaux et peut-être l’Alhambra) pouvait rivaliser avec tous ceux des salles de spectacle de grandes capitales. Il disposait d’ume·vaste avant scène, avec accès des deux côtés ce qui permettait, par devant le rideau de scène et sur un fond neutre qui représentait une muraille, d’y’faire défiler une nombreuse figuration. On y vit passer Jésus portant sa croix. De même que Jeanne-d’Arc entrant à Orléans sur son cheval... qu’il était paraît-il si difficile d’empêcher de crotter. 
Le plancher du plateau, en légère pente à l’opposé de celle de la salle, était entièrement machiné, comportant des trapes amovibles servant à toutes sortes de miraculeuses apparations (on y dispasssait aussi). Des «mats de perroquets», fonctionnant sur rail, etaient là pour amarrer les portants de côté et les décors sur châssis. Les magnifiques toiles de fond, par dizaines, tendues sur perches avec frises assorties (elles avaient été peintes par le décorateur du Grand-Théâtre), pouvaient être facilement montées et descendues grâce à «un système de fils et de poulies jusqu’à un gril. Ainsi, presque à la vitesse du changement à vue, le grand rideau de velours rouge à l’italienne, au choix pouvait s’ouvrir sur le panorama de Jérusalem, la salle du Sanhédrin, la terrasse de Pilate, le jardin des oliviers, le Golgotha. Ou, pour changer d’époque, sur le bosquet d’où la Pucelle entendit ses Voix, la salle d’honneur du château de Chinon où elle reconnut le roi, la prison où elle fut malmenée par ses geoliers anglais, la place du Marché de Rouen où fut dressé son bûcher. A l’origine, l’éclairage était au gaz. L’électricité venue, tous les jeux de lumières devinrent possibles grâce à l’installation de rampes, de herses, de spots. Devant la scène s’ouvrait une fosse d’orchestre où pouvaient s’installer cent musiciens et choristes, et les grandes orgues, aujourd’hui déménagées à l’église Saint-Ferdinant, y étaient installées.