LibMag 76

Lisette a des doutes...

- Bien le bonjour Madame Lisette !

- Bien le bonjour Monsieur le Journalis’. Dites-moi, en cette rentrée de septembre, vous n’avez rien remarqué sur notre belle place Abel Surchamp ?

- Voyons, Madame Lisette, comment ne pas remarquer notre magnifique 
fontaine entièrement rénovée et toute pimpante qui trône au centre de notre splendide place de la Mairie !

- Ah ! Tout de même, vous avez remarqué ! Je peux vous dire que l’entreprise du Serge Barousse, tailleur de pierre de son état et bien connu du grand libournais, a mis un point d’honneur pour redonner tout son lustre à cette fontaine qui a fait couler tant d’encre et créé des polémiques à n’en plus finir au sujet de son authenticité et de son utilité. Bien que vous connaissiez mon point de vue de vieille libournaise sur ce sujet. Mais je dois avouer que le résultat est quand même flatteur pour l’image de notre cité et devrait faire l’unanimité, à quelques exceptions près, dont certains rigolards bien connus du marché qui ironisent comme d’habitude et prétendent pouvoir trouver une autre utilité à l’édifice. Ces couillons y verraient quelques animaux enfermés derrière les nouveaux barreaux en fer forgé qui enserrent le puit factice; des gorilles et ouistitis suggèrent-ils. Ce qui donnerait un petit côté exotique à la chose et qui amuserait certainement tous les «galoupiots » qui gravitent autour du monument sur leurs planches à roulettes !

- C’est une bien charmante idée Madame Lisette, mais croyez-vous qu’il ne serait pas plus judicieux d’y organiser une belle volière plutôt que d’y enfermer des singes ? Cela éviterait des réflexions désobligeantes sur le voisinage et la cohabitation d’avec ces primates dont certains plaisantins que vous évoquez ne manqueraient pas de faire. Pour ménager les susceptibilités, une belle cage aux oiseaux, comme celle que chante Pierre Perret, avec des emplumés multicolores serait du meilleur effet, n’est-il pas, Chère Madame ?

- Un peu de rigolade ne peut que faire du bien Monsieur le Journalis’. Vous savez bien que faire travailler les zygomatiques n’est que bénéfique pour la santé, déstressant et donne un peu de bonheur dans un monde tellement tristounet. Toujours est-il que les travaux vont bon train en centre ville et que bientôt tout rentrera dans l’ordre. Notre cœur de ville sera ré-enchanté, rajeuni et notre fontaine sera de jouvence…

- C’est à espérer Madame Lisette car, certains commerçants sont plutôt désenchantés et commencent à trouver le temps un peu longuet et épuisent leurs réserves de trésorerie. 

-  Je vous avouerais que je suis un peu attristée par certaines fermetures et suis peinée de voir quelques enseignes s’éteindre et des commerçants mettre la clé sous la porte. En particulier ma petite boulangère de la rue du théâtre chez qui j’allais, tous les matins de marché, chercher ma ficelle. Elle m’a annoncé la fermeture de sa boutique et lorsque vous éditerez votre canard, il est fort possible, Monsieur le Journalis’ que cette vitrine soit éteinte et rejoigne la déjà trop longue liste des verrues de la bastide. Elle et sa petite famille vont aller  pétrir ailleurs pour gagner leur pain…Mais heureusement que ça ne sera pas comme dans le film de Marcel Pagnol, Libourne aura quand même du pain malgré ce départ.

- C’est la dure loi du commerce Chère Lisette. Un «point chaud», une franchise prendra certainement la suite c’est l’évolution inéluctable, c’est une fatalité… Souvenez-vous, comme l’ont dit certains; on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs !

- Une fatalité ?...

- Une fatalité Madame Lisette.