Libmag 58

A la claire Lisette...

- « Un bon pet’ de bulldozer, du coté où qu’elle penche et hop, le problème est résolu !!! » dit le retraité de chez Fayat.

- « Vous avez remarqué vous aussi qu’elle n’était pas tout à fait symétrique ? » dit le petit Monsieur en costume gris en triturant son béret en tous sens.
- « Symétrique, symétrique !!! Vous voulez dire qu’elle se casse complètement la gueule et que je n’ai jamais compris pourquoi on l’avait affublé d’une cinquième arche alors que l’originale n’en avait que quatre, c’est sûrement pour être encore plus originale ? Tu parles d’une arpèt’ d’archi ! », Coupa l’homme de l’art.

- « En effet », rétorqua le petit Monsieur au béret, « mais j’ai bien peur que votre bulldozer ne puisse pas l’approcher, déjà que l’accès des camions les jours de marché y est interdit pour raison de fragilité du sol. Alors un bull, lourd comme un AMX 30, vous risqueriez de le retrouver au troisième sous-sol ! Parce que moi Môssieu, je peux vous en parler, j’y étais à Oran en soixante avec le Génie!...» 

Les gesticulades de nos deux compères avaient ameuté tout un public qui rapidement se prit de passion pour le sujet.  Le sujet bien connu de ces temps derniers qui alimentait depuis toutes les conversations et commençait à diviser dangereusement la population libournaise. Le grand sujet de cette rentrée d’automne, celui qui coulait de source (!); le devenir de la fontaine de la place Abel Surchamp, fallait-il la raser ou la conserver ? Tout était parti de cette simple question émise par le Maire lui-même. Une question toute bête qui, à l’aube de travaux d’embellissement de la bastide, se posait tout naturellement et que lui-même, devant son effet dévastateur, devait regretter d’avoir évoqué ; « faut-il conserver cette…… »

C’était aussi un peu la faute aux commerçants qui, eux, jamais contents et toujours impatients, avaient décidé de relancer ce vieux projet promis depuis quelques années et qui, comme l’Arlésienne faisait beaucoup parler de lui sans jamais en avoir montré le bout de son nez.

Le projet étant le réaménagement de l’hyper-centre ville de Libourne et sa transformation en plateau semi-piétonnier. Le Maire et les élus avaient décidé de convier la population et les instances représentatives de la vie locale, pour définir un programme commun afin d’harmoniser ces travaux qui risquaient de gêner quelques peu les activités de chacun. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ! Une réunion fut organisée dans la grande salle du Conseil. Il fut proposé à chacun de donner son avis, qu’un bureau d’études « bureau-étudierait » le projet avec concertation étroite des parties et que, pour assurer le bon déroulement des opérations, il était proposé de constituer un Conseil des Sages, qui pourrait superviser tout le ramdam. Tout se passât fort bien et, la question fatidique vint en fin de séance, comme un simple point de détail oublié entre deux petits fours et le verre de l’amitié; la Fontaine ! 

Au fait ! Quel était le nom de cette fontaine ? A l’inverse de la fontaine Bouqueyres du quartier bien nommé « des Fontaines », de la Fontaine de la Madone, là-bas à Condat, proche de la chapelle royale, personne n’était capable de donner un nom à celle-ci. Pour une bonne et simple raison que, jamais personne n’y avait pensé. Avec un « F » majuscule, capital, ce soir là, elle fut baptisée « la Fontaine ». Et, ces gens de la presse, invités et en mal de copie, sautèrent sur l’aubaine et, toujours à la recherche du scoop, la baptisèrent à leur manière sur cinq colonnes à la une : la bataille de la Fontaine aura-t-elle lieu ? Et en sous titre ; Faut-il la raser ? 

- « Et puis y en a marre de ces Essedéhefs et de ces drôles avec leurs skate-boards, de cette faune qui squatte notre fontaine, ce vestige, ce témoignage du passé» Dit une dame équipée de son caddie débordant de fanes de carottes blettes et poireaux du marché d’à coté.

- « Tu parles d’un patrimoine historique !!! Avec son style néo-gallo-grec-art-nouveau et sa couleur de béton cellulaire, que même la charrette à bras de l’espagnol qui vend vos légumes au coin du marché, est plus historique que ce tas de pierres. Je rigole ! Parce que moi, Chère Madame, j’y suis né dans le quartier. Quand le marché couvert n’était pas refait et qu’il y avait plus de rats qui galopaient  dans les caniveaux que de skateurs…Qu’on emballait les sardines dans le journal de la veille. Que même pour me faire de l’argent de poche, je revendais les « La France » de mon père, au kilo, chez le marchand de moules du dessous des halles. Et que, quand j’en avais plus, j’allais récupérer les «Sud Ouest» de Bobet, le sympathique journaliste concurrent, mari de la Bobette. Votre soi-disant monument historique et bien figurez-vous qu’il n’existait pas  à l’époque et que la place était plus plate qu’une limande avec un asphalte noir comme le c….charbon. Et que si il y avait eu une fontaine, on l’aurait vue !!!» rigola l’imprimeur de la rue Waldeck Rousseau.

- «Ah ! queu…queu …vou…vou…Hi ! » Confirma le bègue.»